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L'Étrange Festival
Par Sandrine Marques & Moland Fengkov

Durée : 1-14 Septembre
Salle : Forum des Images
Ville : Paris
Pays : France
Edition : 2004
Web : L'Étrange Festival
Plume Noire est à l'Étrange Festival au Forum des Images, au cœur du Forum des Halles. Découvrez en exclusivité les critiques des films présentés ainsi que le journal du festival.



 L'EDITO : Mangeurs de pellicules et autres iconophiles en quête de sensations extrêmes vont s'aventurer, comme chaque année, sur les rives d'une cinématographie marginale, singularisée par son caractère frondeur et buissonnier. [lire la suite]

Après la Mort Après la Mort
Documentaire essentiel, Après la Mort, lève un tabou majeur propre à nos sociétés occidentales : la représentation de la mort dans ce qu'elle a de plus prosaïque.

Tarnation Tarnation
(en anglais) Jonathan Caouette's Tarnation marks another bold step, pushing the limits of the documentary to create an emotionally rough piece bathed in raw visuals.

:: MARDI 14 SEPTEMBRE 2004
   Une clôture digne du festival.

Une Nation sans femmesAvant de fermer ses portes pour un an, l'Etrange Festival frappe fort avec cette avant-première choc qui risque de heurter la sensibilité de plus d'un spectateur. Une Nation sans femmes, de Manish Jha, remarqué à Cannes avec son court métrage A very very silent film, s'inspire d'un rapport de l'Unesco dénonçant la disparition de 50 millions de femmes, due aux infanticides qui frappent les nourrissons de sexe féminin. Très loin des canons des productions de Bollywood, Une Nation sans femmes ne s'embarrasse pas de séquences chantées et dansées, pour se concentrer sur une intrigue violente qui se termine fatalement dans un bain de sang. Entre-temps, le spectateur subit le spectacle de viols à répétition perpétrés dans l'indifférence la plus totale, avec l'aval des hautes instances religieuses locales et l'incompétence de la police. Traité sans complaisance, le film bénéficie d'une interprétation sans faille et d'une photographie léchée qui éclipse son budget modeste. Preuve que le cinéma indien peut sortir des méga productions de pur spectacle comme Devdas.

Malgré une programmation en demi-teinte, sans véritable choc, le festival tient son cap, tout en s'affranchissant de son image provocatrice. — Moland Fengkov

:: LUNDI 13 SEPTEMBRE 2004
   Un pétard mouillé.

On l'annonçait comme la véritable bombe de ce festival. Rien de moins étonnant, donc, de voir une foule se bousculer pour assister à la projection des premières minutes du Nécrophile, de Philippe Barassat, auréolé d'un parfum de scandale, avec sa production contrariée par moult dénonciations, convocations à la Brigade des mœurs et interventions de ministres. Pour cause d'une carence d'information interne venant de l'équipe des relations presse du festival, nous n'avons pu assister à ce " work in progress " alléchant. D'après les échos recueillis à la sortie de la salle, cet événement ne serait en fin de compte qu'un vulgaire pétard mouillé, tout juste bon à choquer la ménagère de plus de 50 ans allant au cinéma pour la première fois de sa vie. Du déjà-vu donc, en moins bien. A juger sur pièce le jour où le film sortira en salles.

Crazy FamilyBeaucoup plus intéressant fut sans doute le meilleur film de Sogo Ishii programmé au festival, Crazy Family. Ou l'histoire d'une famille s'installant dans une maison de la banlieue de Tokyo, qui sombre dans la folie pure et simple. Œuvre humaniste, au sens rousseauiste du terme, proche du Septième continent de Michael Haneke, pour la lente plongée dans la spirale de l'autodestruction, ce film se distingue par son traitement humoristique. Chaque membre de la famille exprime sa part de folie, une folie qui cache une dénonciation de la société de consommation nippone, attachée au matériel, au détriment des valeurs humaines essentielles, comme l'amour de son prochain. Naïf à bien des égards, le film n'en remplit pas moins ses offices : proposer une réflexion sur la société moderne sans se prendre au sérieux. En préambule, Dead End Run, triptyque expérimental réunissant pour chaque volet deux personnages finissant dans la mort. — Moland Fengkov

:: DIMANCHE 12 SEPTEMBRE 2004
   Rendez au festival ce qui lui appartient.

SamariaGilles Boulenger n'a pas manqué de rappeler que l'Etrange Festival compte parmi les premiers à avoir défendu Kim Ki-Duk et à avoir contribué à faire connaître du grand public ce maître du cinéma coréen. Révélé en 2004 avec Printemps, été, automne, hiver… et printemps, cet auteur voit ses productions programmées en salles, dans un désordre chronologique quelque peu confus. A l'heure de la sortie en salles de The Coast Guard, l'Etrange Festival livre à ses fidèles en avant-première Samaria, œuvre d'une grande maîtrise qui donne l'impression de voir trois films en un : une chronique adolescente, un drame familial intimiste, en passant par le thriller. Un film sur lequel Plume Noire reviendra à sa sortie en France.

Pour clore la carte blanche confiée à Roger Avary, les festivaliers ont pu apprécier une curiosité des studios Disney : Darby O'Gill, de Robert Stevenson, un film cher au réalisateur des Lois de l'Attraction pour ses effets spéciaux, aujourd'hui surannés, mais qui gardent toujours en eux leur part de magie. Lors de sa présentation du film, Avary précisait que lui-même ne comprenait toujours pas les deux tiers des dialogues, dits dans un dialecte irlandais. Autre curiosité du film : un Sean Connery poussant la chansonnette ! — Moland Fengkov

:: SAMEDI 11 SEPTEMBRE 2004
   Une nuit avec Asia Argento.

Freakstars 3000Passons rapidement sur Freakstars 3000, dernière provocation du " riot artist " Christoph Schlingensief, dénonciation laborieuse et sans grande portée, de la télé-réalité. Parodie du programme Idols ou Popstars pour la France, le film met en scène un casting d'handicapés physiques et mentaux. Où commencent le voyeurisme et l'obscénité ? Très rapidement, on s'aperçoit que les protagonistes ne sont pas filmés à leur insu, mais bien dirigés. Cette mise en scène, induisant une distanciation, excluant tout malaise. Le vrai projet de l'artiste apparaît : il stigmatise la condescendance des jurys et producteurs de ses grand messes télévisuelles. Et après ? Rien ! Peu subversif, le film ne mérite pas le scandale qu'il a suscité au dernier festival de Rotterdam.

The Heart is deceitful above all ThingsSimple, disponible, un brin intimidée, telle est apparue Asia Argento cette nuit au Forum des Images. Elle a présenté ses deux films : The Heart is deceitful above all Things et Scarlet Diva, oeuvre de jeunesse, certes maladroite mais tendue par une belle sincérité. The Heart is deceitful above all Things d'Asia Argento reste le vrai choc de la dernière Quinzaine des Réalisateurs. Adapté du livre éponyme de l'auteur culte JT Leroy, icône branchée androgyne, scénariste de Elephant de Gus Van Sant, le film est une plongée vertigineuse dans une Amérique poisseuse, coincée entre déchéance et fondamentalisme religieux. Ballotté de ville en ville par une mère toxicomane et prostituée, Jérémie, un gosse de 12 ans, quitte brutalement l'enfance pour explorer les Enfers. Il y fait l'apprentissage douloureux de la vérité. Ce récit d'initiation est autobiographique. JT Leroy, 22 ans, a tiré de son blog deux romans cultes, dont Sarah, disponible en France. Travesti et prostitué, "reine des aires d'autoroute", le romancier a marché sur les traces d'une mère idolâtrée et crainte à la fois. Quant à Asia Argento, elle signe un second long métrage où la prise de risque est maximale. En équilibre précaire, le récit ne bascule cependant pas. Nulle complaisance malsaine, bien au contraire. La réalisatrice sauve son entreprise et ses personnages (pourtant très "chargés") par un regard empli de compassion. Tendu de bout en bout par une énergie du désespoir, le film ne manque pas d'imperfections. Et c'est bien ce qui le rend attachant !

La belle s'étonnait que les spectateurs n'aient pas quitté leur siège à chaque entracte, se considérant dans la vie comme "une nullité". Pourtant, le talent ne lui fait pas défaut et le public pourra en juger en février 2005 avec la sortie de ce dernier film, brûlot rock qui épingle le puritanisme américain et s'attache aux laissés pour compte d'un pays dans la "plaie pourrie" duquel Asia Argento "plonge le doigt".On a pu découvrir aussi ses influences majeures à travers le remarquable et dérangeant Out of the Blue (1980) de Dennis Hopper, film sur une jeune punkette dont la famille se délite. Ian Curtis de Joy Division se serait suicidé après avoir vu cette oeuvre cafardeuse. Quant à Dennis Hopper, icône de la contre-culture américaine, il est aujourd'hui devenu républicain. O tempora, o mores !Sandrine Marques

:: VENDREDI 10 SEPTEMBRE 2004
   Films de jeunesse.

TarnationLe film du jour fut sans conteste Tarnation de Jonathan Caouette, remarqué dans plusieurs festivals, dont celui de Cannes, à la Quinzaine des Réalisateurs (voir la critique signée Fred Thom). Œuvre viscérale, traversée par le désespoir, Tarnation ne laisse pas indemne. Film protéiforme, mêlant home movies, photographies et vidéo, Tarnation interroge sans aménité une mémoire familiale meurtrie, à travers la figure d'une mère en équilibre instable.

Second événement de la journée : Crazy Thunder Road, de Sogo Ishii, film fauché sur les loubards en moto, avec au casting de véritables voyous, qui souffre, hélas, de ses 25 années d'existence, qui le relèguent aujourd'hui au rang de film de série Z. — Sandrine Marques & Moland Fengkov

:: JEUDI 9 SEPTEMBRE 2004
   Cyber Sogo.

Deux films de Sogo Ishii programmés ce jeudi : Panique au Lycée et Electric Dragon 80 000 V. Panique au Lycée n'est rien de plus qu'une démonstration poussive sur le système éducatif nippon et ses carences. Fondé sur l'excellence, l'institution éducative nipponne met au rebut ses éléments les moins performants, préfiguration d'un monde du travail impitoyable.

Electric Dragon 80 000 VUn jeune homme sans histoire prend en otage des étudiants, après le suicide de l'un de ses camarades de classe. Le film confronte les points de vue des parents et de l'institution, ainsi que celui du preneur d'otages, condamné. Ce dynamitage en règle de l'institution scolaire, trop didactique, manque de force, en dépit de sa sincérité. Electric Dragon 80 000 V est un moyen métrage tourné en noir et blanc sur les toits de Tokyo, en plein hiver. Aussi énergique que son sujet (le combat entre deux foudroyés pendant leur enfance, à présent chargés d'énergie électrique), le film se regarde comme " un rêve éveillé " (sic), dans la plus pure tradition des mangas, avec inserts de cartons, une amplification des sons figurant les onomatopées, et une musique rock bruitiste à base de dissonances à la guitare électrique. Les deux protagonistes, Electric Dragon (qui communique avec les lézards) et Buddha Thunderbolt, sont d'ailleurs interprétés par deux stars de la pop électro nippone. Violent, nerveux, délirant, à la limite du supportable, ce film représente le mieux la période cyber punk du réalisateur. En ouverture, Sogo Ishii a offert au public une performance, accompagné de son musicien attitré. Installés à une console, les deux acolytes ont illustré musicalement Burst City, un film qui rend hommage au mouvement punk, mais que renie Ishii. Pour autant, la prestation musicale, de qualité supérieure aux images, valait le déplacement. D'habitude, Ishii projette ce film dans des salles de concert et son groupe, Mach 1.67 improvise dessus. Cette fois-ci, ils n'étaient que deux derrière les manettes, mais toute la salle n'en a pas moins vibré au rythme atmosphérique de leurs nappes sourdes et telluriques. Juste de quoi faire passer le magma de corps lancés dans une émeute à l'écran. — Sandrine Marques & Moland Fengkov

:: MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2004
   De sang et de fureur

La carte blanche donnée à Roger Avary se poursuit avec la présentation du Macbeth de Roman Polanski, œuvre rare et dérangeante. Déçu par les adaptations livrées par Orson Welles ou Akira Kurosawa, Polanski prend à bras le corps son projet et fait de cette tragédie shakespearienne, un film très personnel, marqué par ses obsessions : le sang, la folie, le meurtre. Dans une première partie conventionnelle, le réalisateur pose les jalons d'un récit qui culmine dans un final cathartique. Messe pour les morts (on aura juré voir le fantôme de Sharon Tate, assassinée peu auparavant par Charlie Manson), le film avance vers un final mortifère. Avary a présenté cette œuvre en insistant sur la tragédie personnelle dont se relevait à peine Polanski. Film exutoire donc, Macbeth constitue avant tout une curiosité dans la filmographie du cinéaste polonais.

Angel DustDans un Tokyo magnifié par la caméra de Sogo Ishii, des femmes sont assassinées dans le métro. La police se met sur la piste du tueur en série, épaulé par une jeune et belle psychologue, amenée à affronter son machiavélique ancien amant. Le film de Ishii évoque l'univers de Kyoshi Kurosawa, par son ultra-urbanité et son atmosphère inquiétante. Vrai cauchemar éveillé, Angel Dust recèle de nombreuses qualités et s'impose sans conteste comme le meilleur film du réalisateur, présenté dans le cadre de la rétrospective. Une torpeur diffuse et hypnotique contamine le récit, engourdit peu à peu le spectateur. Cependant Ishii ne sait pas terminer ses films qui souffrent, à l'évidence d'un problème de rythme. Ici, l'épilogue tarde à venir et déçoit par son caractère convenu, en dépit d'un ultime regard caméra glaçant. Tout comme chez Kurosawa, le mal triomphe et prolifère dans un drame intimiste, nimbé de fantastique. La force et l'ampleur du cinéma de Kurosawa tient dans un mouvement inverse : l'intime contamine progressivement le collectif. Chez Ishii, le collectif (la société nipponne) est peu à peu délaissé au profit de l'intime, édulcorant considérablement l'impact de ce projet filmique. — Sandrine Marques

:: MARDI 7 SEPTEMBRE
   Une journée décoiffante !

Hair HighUne journée marquée par la visite de Bill Plympton, venu présenter en personne et en avant-première son nouvel opus, Hair High. Toujours réalisé sans l'aide d'un ordinateur, mais de façon traditionnelle, ce film d'animation ne s'écarte pas du style qui a fait sa réputation : sens du rythme, exagération des mimiques, et exploitation des situations jusqu'au délire, notamment dans une incroyable séquence où un jeune lycéen engoncé dans son habit de mascotte, shooté à l'aphrodisiaque pour chevaux, sème la zizanie dans un match de football en poursuivant et en violant tout ce qui bouge, voire tout ce qui ne bouge pas. Une scène inspirée par une histoire vraie qu'on a racontée au réalisateur. Décontracté, à l'aise dans un short qui le ferait passer inaperçu parmi les touristes arpentant les rues de Paris, Plympton s'est montré disponible, à l'issue de la projection, répondant aux questions du public, et leur offrant une pile de cartes postales et de croquis originaux pour la séance de dédicaces.

Einstürzende NeubautePour les amateurs de rock industriel en général et du groupe mythique Einstürzende Neubauten en particulier, l'événement du jour était sans conteste ½ Mensch, de Sogo Ishii, documentaire consacré aux chantres teutons de la musique bruitiste des années 80. D'ailleurs, le film, tourné en 1986, illustre l'univers si particulier de cette formation à une époque où leurs expérimentations sonores atteignaient leur apogée. Mal vieilli d'un point de vue esthétique (Blixa Bargeld, le leader, arbore sa coupe de cheveux hirsute, très eighties), le film demeure cependant un document unique sur cette période du groupe : depuis, ils ont lâché perceuses et marteaux piqueurs pour s'assagir. Et Blixa a troqué ses épis contre un chapeau haut-de-forme très dandy. Pour la petite histoire, après avoir vu un film de Sogo Ishii au festival de Berlin, le groupe lui a proposé de tourner un film sur eux, à l'occasion d'un concert au Japon. Filmé en live dans une usine désaffectée, et lors dudit concert, ½ Mensch inclut une séquence chorégraphiée, inspirée du Buto, trace culturelle de leur passage au pays du Soleil levant. En complément de ce programme, Shuffle ou une course poursuite hallucinante entre un jeune voyou et la police, sur fond de basse ronronnante et galopante. Petite réussite du cinéma indépendant, où Ishii montre une maîtrise certaine du travelling et du rythme. Décidément un réalisateur très rock'n'roll. — Moland Fengkov

:: LUNDI 6 SEPTEMBRE
   De la neige, du sable, du sang et du sperme

Journée de contraste en ce qui concerne la programmation du festival en ce début de semaine, puisque les spectateurs ont pu effectuer un aller-retour entre l'hiver d'Hokkaido et ses '30°, lieu du tournage de Prisonniers d'Abashiri de Teruo Ishii, et la chaleur du désert afghan, où un char soviétique se perd dans La Bête de guerre de Kevin Reynolds, film programmé par Roger Avary, l'invité vedette de cette douzième édition. Prisonniers d'Abashiri, un classique au Japon, inspiré du pamphlet antiraciste la Chaîne de Stanley Kramer, avec Sidney Poitier et Tony Curtis, contraste avec les autres films de Teruo Ishii. Ici, pas de sévices ni de tortures. Tourné en noir et blanc en milieu naturel, dans une vraie prison, avec une nette prédominance pour le blanc mordant de la neige, ce film humaniste se distingue en dépassant le genre d u film de prison pour explorer le c'ur de l'homme. Une longue première partie étudie les relations conflictuelles entre un yakuza et ses codétenus, chacun cachant en lui sa part de douleur. Jusqu'au jour où une poignée de taulards décident de s'échapper, entraînant avec eux le yakuza, alors que celui-ci attend une remise de peine imminente. Le film bascule alors sur une cavale infernale, avec notamment une impressionnante poursuite en wagonnet. Lié par une chaîne à un malfrat qu'il déteste, le jeune voyou doit composer avec son compagnon pour survivre. Ce succès nippon a donné naissance à 19 autres épisodes.

Les festivaliers frileux ont préféré La Bête de guerre, cette chasse au char en pleine guerre d'Afghanistan, avec dans le rôle du capitaine de l'équipage soviétique George Dzundza, remarqué notamment aux côtés de Michael Douglas dans Basic Instinct de Paul Verhoeven. Roger Avary raconte qu'il a vu ce film à sa sortie en salles à Los Angeles, trois jours avant qu'on le retire de l'affiche, en compagnie d'une poignée de spectateurs dont Quentin Tarantino. L'intérêt de cette métaphore de la guerre du Vietnam, qui trouve une résonance avec l'invasion des troupes américaines en Afghanistan après les événements du 11 septembre, réside dans son discours universel sur l'absurdité de la guerre. Au sein de l'équipage du char mené par un tyran sanguinaire (il ordonne entre autres l'exécution d'un rebelle, littéralement transformé en steak tartare par les chenilles du blindé), un jeune intellectuel se dresse peu à peu contre l'autorité, se rapprochant de leurs ennemis, menés par Taj, jeune guerrier afghan assoiffé de vengeance. Un film qui n'a pas pris une ride.

La journée se termine avec la séance présentée par la rédaction des Inrockuptibles, dans un auditorium rempli à craquer. Au menu, une rareté de Yasuzo Masumura, au titre français ridicule : Kung Fu Hara Kiri. Cette seule copie française, avec un doublage qui a provoqué l'hilarité de la salle, avait le mérite de renforcer le côté délirant du film, qui met en scène un inspecteur de police pourvu d'un sexe démesuré, principal ustensile de torture. Jugez du peu : le patibulaire agent de l'ordre fait tournoyer l'une de ses victime au bout de son vit, telle une toupie, pour lui délier la langue tout en lui arrachant des " encore ! encore ! " Film hybride, à mi-chemin entre le pinku eiga (film érotique nippon) et le film de sabre, Kung Fu Hara Kiri mené par Shintaro Katsu, figure emblématique de la série des Zatoichi (remis au goût du jour récemment par Takeshi Kitano), se distingue par son humour pince-sans-rire et les décalages entre la musique très seventies et l'époque médiévale de l'intrigue. Les scènes de combat remplissent leurs offices, dans la plus pure tradition du genre, avec gerbes de sang et violence fulgurante des estocades. Quant à l'esthétique, elle rappelle qu'une leçon de cinéma se cache derrière la bonne humeur que peut provoquer un tel film : rappelons que Yasuzo Masumura, qui affectionne ici les contre-jours dramatiques, est le maître de Nagisa Oshima. Un grand moment du festival. — Moland Fengkov

:: DIMANCHE 5 SEPTEMBRE
   Meet the monster

Se propageant comme un phénomène endémique, le mystérieux Los Muertos de Lisandro Alonso entame le regard. Un homme libéré de prison s'enfonce dans la jungle pour retrouver les siens. La confrontation brute avec une nature sauvage ravive ses instincts. Un film inquiétant et malade sur une société argentine en pleine régression sociale.

Au monstre sociétal répond le monstre du Loch Ness, mythe auquel se frotte le producteur, scénariste et réalisateur poids lourd Zak Penn (X-Men2, Last Action Hero etc…) qui orchestre, avec humour, une rencontre inattendue entre deux énigmes : Werner Herzog et Nessie ! Une mystification de haut vol qui démarre comme un documentaire pour tourner au blockbuster écossais ! Soulignons la montée sur scène du premier mort-vivant de l'histoire de l'Etrange Festival, à l'occasion du débat sympathique qui a suivi la séance, en présence du réalisateur. — Sandrine Marques

:: SAMEDI 4 SEPTEMBRE
   Rock glides in blue

On va entendre parler de ce premier film " très spécial " de Fabrice Welz, Calvaire ou les aventures d'un chanteur pour dames, séquestré par un hôtelier possessif. Imaginez André Rieu rencontrant les dégénérés des films de Wes Craven ou de Tobe Hopper ! Et vous obtenez un film limite, traversé de part en part par une réflexion sur la régression, le fétichisme et la solitude affective. Bienvenue chez les fous !

Point d'orgue de cette journée, la nuit Oui FM organisée pour la première fois avec un partenaire incontournable, si l'on se fie au vieil adage, sex ,drug and rock'n roll ! Au programme le trop rare et néanmoins cultissime Electra Glide in Blue, unique film de James William Guercio, compositeur de renom et manager de groupes qui signe là une œuvre magistrale et désespérée sur la fin du rêve américain, au lendemain de la guerre du Vietnam. La Grande Escroquerie du Rock 'N Roll de Julien Temple (réalisateur de Absolute Beginners) vaut avant tout pour ses images d'archives sur l'histoire des Sex Pistols. Des documents rares et inédits sur les premières prestations des rockeurs les plus irrévérencieux de l'histoire du rock, se croisent malheureusement avec des séquences plus improbables, mettant en scène Macolm Mac Laren. Mégalomane, le fondateur et manager du groupe, assène dix leçons pour escroquer l'industrie du disque. Lourdes et agaçantes, ces séquences parodiques et artificielles ne sont d'aucun intérêt. Mais voir , en parallèle, Sid Vicious se lancer dans une interprétation trash de "My Way" à l'Olympia incite à temporiser. Enfin, au point du jour, les festivaliers hagards ont découvert les exploits filmés d'un Don Johnson, première époque. Pas encore flanqué de son acolyte de Miami Vice, il donne ici la réplique…..à un chien, avec lequel il communique par télépathie. Ce chef d'œuvre d'anticipation décalé s'appelle Apocalypse 2024 (1974) de L.Q Jones (acteur pour Anthony Mann et Sam Peckinpah) et est adapté d'une nouvelle de l'écrivain Harlan Ellison. Excessivement misogyne, le film narre les déboires sexuels de Vic en quête de partenaire sexuelle et de son chien Blood, le " cerveau " de cet hasardeux duo. Très fauché, le film joue la carte d'un érotisme toc, entamé par un mauvais goût absolu. Au point du jour, l'hallucination persiste : on aura juré, le manque de sommeil aidant, avoir entendu son animal de compagnie tenir des propos orduriers. Tu disais, Médor ? — Sandrine Marques

:: VENDREDI 3 SEPTEMBRE
   Vices et sévices. Bienvenue M. Ishii !

La rétrospective consacrée à Teruo Ishii débute ce jour avec Femmes Criminelles, œuvre présentée comme le " must sadique " (sic) de l'éclectique programmation du festival. Le commentaire n'avait rien de galvaudé, au vu des sévices infligés à des héroïnes, ivres de douleur et d'extase mêlées. Ecartelées, empalées, tatouées, brûlées, violées, les séduisantes victimes goûtent aux raffinements sadiques les plus élaborés ! S'inscrivant dans un genre historique nouveau — le Tokugawa — destiné à relever les studios Toei en pleine crise artistique et économique, le film se décline en trois tableaux distincts. Ces récits, inspirés de la nouvelle de Ryunosuké Akutagawa, Figures de l'Enfer, se succèdent avec leur lot de perversions sado-masochistes, incestueuses ou saphiques et témoignent de l'asservissement séculaire de la femme japonaise à l'homme. Le débat extravagant qui a suivi, en présence du réalisateur, a permis de mettre à jour l'incompréhension fondamentale qui existe entre la culture japonaise et occidentale. Références inappropriées, questions déplacées contraires à la bienséance, tentatives de réinterprétation avortées. Le film, qui a été diffusé dans un circuit normal au Japon, résiste au cloisonnement. En tout cas, lorsque l'on rencontre Teruo Ishii, petite personne humble, affable et réservée, on a du mal à imaginer qu'il est le grand ordonnateur des passions charnelles débridées qui consument à l'écran ses personnages. Du nécessaire refoulé propre aux grandes civilisations ! A suivre.

Plus tard dans la soirée, un électrochoc a secoué les festivaliers avec la présentation du documentaire américain Après la Mort de Blue Hadaeg et Grover Babcock, œuvre essentielle qui constitue assurément une vraie découverte. Que se passe t-il pour les personnes isolées, décédées dans l'anonymat ou l'indifférence ? C'est la mission de services administratifs américains que de retrouver un parent, un proche, une trace, en somme, de dresser une biographie, comme ultime hommage rendu à ces défunts ordinaires. Ce documentaire, repéré dans de nombreux festivals dont celui de Rotterdam, est à découvrir de toute urgence. — Sandrine Marques

:: JEUDI 2 SEPTEMBRE
   Présence du cinéma expérimental

DecasiaAu titre des innovations remarquées, la présence de films expérimentaux dans la programmation décidément variée de l'Etrange Festival. L'américain Bill Morrison, laconique et précis, a rencontré une assistance hypnotisée par son film Decasia, un projet composite en collaboration avec le compositeur Michael Gordon. A travers un montage poétique de films altérés par le temps (il n'y a donc ici aucune intervention sur la pellicule, procédé courant dans le cinéma expérimental), le réalisateur interroge la mémoire et la trace. A la circularité du film de Morrison répond l'envoûtante symphonie de Gordon. Sa musique répétitive et cyclique se déploie parfois jusqu'à l'effroi. La dimension anxiogène des images, comme habitées par la conscience intime de leur propre disparition, se couple avec leur fabuleux pouvoir hallucinogène. Au détour de taches, éraflures et striures apparaissent des silhouettes fantômes, naissent des raccords inattendus. Une splendeur.

The Last of EnglandPlus tard dans la soirée, la rétrospective Derek Jarman est initiée avec trois clips commandés par Island Records pour illustrer des titres de Marianne Faithfull. Broken English impose sa singularité et le style très baroque de Jarman. Le succès remporté par ces clips, aujourd'hui très vieillis, a permis à son auteur de travailler régulièrement dans le domaine musical. The Last of England, long poème filmé anti-Thatcher, frappe par sa noirceur et sa souveraine densité. Mêlant des extraits de poèmes de TS Elliot et Allen Ginsberg, dits par Jarman, des home movies et de longs travellings sur des friches industrielles désaffectées, l'auteur dénonce le marasme économique et moral dans lequel était plongée l'Angleterre sous le joug thatchérien. Comment vivre son homosexualité dans un pays de non droit ? Dans des scènes érotiques choc, de jeunes éphèbes s'ébattent sur le drapeau anglais. Mais lorsque Jarman convoque une imagerie SM malsaine (des groupes paramilitaires fusillent de jeunes homosexuels, rappelant les discriminations exercées par les nazis à l'égard de cette communauté, pendant la seconde guerre mondiale, bande son à l'appui), il touche les limites. Son essai, malgré tout, marque les esprits par son viscéral désespoir. — Sandrine Marques

:: MERCREDI 1ER SEPTEMBRE
   L'étrange rentrée

AaltraC'est avec l'improbable Aaltra, film des échappés de Groland, Gustave Kervern et Benoît Délépine que s'ouvre l'Etrange Festival. Deux voisins, qui se détestent cordialement, deviennent paraplégiques à la suite d'un accident causé par une machine agricole. Ils décident de partir à la recherche du constructeur du tracteur pour recevoir des indemnités. Leur route ponctuée d'embûches, croise celle de célèbres guests comme Benoît Poelvoorde ou Noël Godin. Un film de potes artisanal, attachant par endroits, audacieux (construire une comédie sur le thème de l'handicap) mais qui souffre d'une narration digressive et d'un humour potache. Affranchis de la tutelle de Canal+, qui n'a pas mis un seul denier dans ce projet hasardeux — un road movie en fauteuils roulants, de la Belgique à la Finlande ! — les joyeux drilles nous ont offert un vrai show, en présentation de leur film. Et de révéler l'origine de leur projet : boire un coup avec Aki Kaurismaki, rêve qu'ils réalisent à la fin d'un trip arty, filmé en noir et blanc granuleux. Manque de pot, au propre comme au figuré, le réalisateur finlandais avait arrêté de boire ! Le spectacle était assurément dans la salle, tant le comique dévastateur des deux apprentis réalisateurs a tout emporté sur son passage. Si les deux pieds nickelés acceptent de se prêter à l'exercice du débat à l'issue de la projection, c'est selon eux " parce qu'ils n'ont pas de vie de famille et pour éviter d'aller boire des coups à la place ". De faire part encore de leur étonnement à figurer dans la sélection de l'Etrange Festival car leur " film n'a rien d'étrange, mais il aurait pu concourir dans la catégorie snuff movie ". Le ton était donné lors de cette soirée inaugurale : l'irrévérence ! — Sandrine Marques

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