critique littéraire du nouveau livre de Jean-Louis Costes Grand-PèreJean-Louis Costes Grand-Père






Jean-Louis Costes : Grand-Père










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Jean-Louis Costes
Grand-Père

Faisons taire immédiatement les mauvaises langues. Jean-Louis Costes, acteur, performeur, metteur en scène et compositeur est dorénavant un écrivain sur qui compter. Figure clé de la scène underground française, Costes avait déjà prouvé ses talents, à travers une série d'articles incisifs.

Avec Grand-Père, une biographie romancée dédiée à son aïeul arménien, le mélancolique trublion entre dans le sanctuaire des Lettres… pour y semer un bordel monstrueux ! A la fois récit picaresque, traversé de visions dantesques, Grand-Père signe une vraie appétence littéraire. Force est de constater que le boulimique touche-à-tout affiche la même polyvalence dans l'écriture que sur scène.

Imaginant l'existence opaque de Garnick Sarkissian, " pogromeur pogromé ", rescapé de toutes les guerres mais broyé par l'Etat français, Costes, le petit-fils meurtri, s'essaie avec bonheur, et dans un vivifiant maelström littéraire, à tous les genres. De purs moments de comédie alternent avec des descriptions infernales de massacres et de viols. C'est trash, c'est cru, mais on en redemande, car, en transparence, se dessine une autre biographie secrète : celle tourmentée d'un artiste, tributaire de sa généalogie, laquelle lui a inoculé son mal atavique.

Figure idéalisée (l'imaginatif enfant associe son grand-père à Omar Sharif dans Lawrence d'Arabie), craint et révéré, " bon-papa-qui-pique " (c'est ainsi qu'il l'appelle) apparaît tour à tour comme un héros ou un salaud, cosaque rutilant ou clodo, sanguinaire légionnaire, bagnard, alcoolo collabo, battant comme plâtre sa femme, entre deux diffusions télévisuelles du tiercé.

Ambivalence affective qui rejoint les contradictions de l'Histoire. C'est là le tour de force de ce bouquin corrosif : réaliser la fusion de l'intime avec l'épopée débridée. Et partant, de mettre en perspective les grands événements meurtriers du siècle. Costes, en moraliste cynique, assène au passage quelques vérités politiques bien senties sur le contemporain. Le livre arrive à point nommé dans le délire mémoriel du moment, où l'on statue encore sur le rôle positif de la colonisation, quand Costes ironise sur le soldat fonctionnaire, à qui l'on promet la nationalité française contre ses tripes.

Qui a assisté aux performances de l'artiste reconnaîtra à coup sûr, dans son écriture, la même transe conjuratoire qui le saisit et l'emporte toujours plus loin dans la représentation. Un peu trop loin d'ailleurs. Un moment, on se dit même qu'il ne va jamais en revenir, qu'il est en train de se perdre dans ses évocations fantasmatiques, complaisantes et répétitives. Mais le geste génocidaire est lui-même répétition.

Et quand on croit l'avoir perdu, ce fil d'Ariane qui nous ramène à Jean-Louis Costes et à sa biographie souterraine, on le retrouve, dans un chapitre aussi fulgurant que bouleversant. Costes, éreinté, se donne enfin et livre sur l'autel sacrificiel, ce qu'il n'a jamais cessé de mettre en scène : son corps nu, la saillance d'une colonne vertébrale qui porte les stigmates de la génération irradiée à laquelle il appartient :
la courbe de mon dos est exactement celle du dos de Papi. Elle est exactement la courbe du dos du vieux singe. Exactement le dos de mes petits-enfants. Je leur transmettrai le pogrom par mes os comme on me l'a transmis. Les crimes de l'Histoire sont notre squelette. Construit sur une colonne vertébrale cassée, je suis foutu d'avance. Je crèverai pogromeur ou pogromé. La seule incertitude est la durée de la souffrance. En attendant la mort que je me donnerai, si personne ne me la donne. C'est parce que je suis une serpillière de chair saturée de charnier sur un squelette de grand-père que je peux deviner, simplement en fermant les yeux, toutes les péripéties de Papi. Je ferme les yeux et je vois son dos courbé, sa colonne vertébrale, chapelet de souffrances qu'il suffit d'égrener.

Costes parle de là, de cette zone intime - son corps de performeur - l'épine dorsale d'un projet littéraire abouti.

  Sandrine Marques




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