Festival de L’Étrange Festival 2006 Festival de L’Étrange Festival 2006



 

 



FL’Étrange Festival

L’Étrange Festival 2006

:. Durée : 30 août - 12 sept.
:. Ville : Paris
:. Pays : France
:. Edition : 13e
:. Site Officiel : Festival de L’Étrange 2006



Un feu d'artifice à l'ouverture de la 14e édition de l'Etrange festival. The great yokaï war, de Takashi Miike, a donné d'emblée le ton de la manifestation : déjanté, exubérant, baroque, potache et sérieux à la fois, audacieux et curieux. A grands renforts d'effets numériques plus que réussis et autres procédés plus conventionnels comme l'animation image par image (entre autres exemples : le cou d'une femme s'allongeant à l'infini, une grosse tête qui se dégonfle littéralement, ou encore ces créatures métalliques composées d'outils de récupération), le cinéaste livre un conte écologique qui assume la naïveté de son discours : ayez une pensée et montrez un tant soit peu de respect pour les objets dont vous vous débarrassez, car ils possèdent une âme. A partir de ce message, Miike donne la mesure de sa folie à travers des personnages délirants et une mise en scène exploitant toutes les outrances stylistiques des mangas, en mélangeant les genres, de la fantasy à l'horreur, en passant par le burlesque. Sans doute que le public occidental ne dispose pas de toutes les clés pour comprendre les références à la mythologie nippone. Toujours est-il qu'il se retrouve embarqué dans un film dont la surenchère visuelle ne lui laissera aucun répit, jusqu'au générique de fin, sur fond de big band incongru. Au final, 1 heure et 44 minutes de chaos visuel et baroque. — Moland Fengkov

Films Expérimentaux

L'étrange festival offre aussi l'occasion de découvrir quelques bijoux du cinéma expérimental.

On passera rapidement sur le mythique Scorpio Rising de Kenneth Anger (1964), film fétichiste, fondateur de l'esthétique gay-cuir. "Même si vous n'avez jamais vu ce film, vous le connaissez déjà, tellement il a été copié", a déclaré Paul Schrader dans sa présentation du film. Anger filme avec une sorte de vénération un groupe de motards, leurs fétiches et leurs rituels. Le film est construit comme un acte sexuel : très lent au départ, il s'accélère progressivement, multipliant les inserts, de plus en plus violents et profanateurs. D'une beauté à couper le souffle, mais presque académique au regard des deux films suivants, Wavelength et Serene Velocity.

Wavelength de Michael Snow (1967) est une expérience sensorielle fascinante. Que peut-il se passer dans un appartement vide, pendant 45 minutes ? Une table, deux chaises, deux grandes fenêtres aux vitres sales. Une suite de plans fixes, quoique légèrement tremblants, la caméra étant visiblement tenue à la main. Le moindre détail prend de l'importance (les voitures qui passent dans la rue, les changements lumineux et chromatiques). Soudain, un homme entre en titubant et s'écroule par terre. Ivre, blessé ? Il s'agit peut-être, comme à la fin de Profession reporter, des derniers instants d'une agonie. A nouveau, le vide. Cependant, le film évolue imperceptiblement. Il y a un bruit vaguement électrique, de plus en plus fort et strident. Chaque plan nous rapproche des fenêtres, ou plus exactement du pan de mur qui les sépare. On pense à un autre pan de mur, dans Proust, une scène d' agonie justement. Des photos sont collées au mur. Vont-elles donner la clé de ce qui se passe ? Le bruit devient presque insoutenable. La fin est un soulagement. Wavelength est donc à la fois une sorte d'objet formaliste et un véritable film à suspense, le spectateur confronté à l'absence d'événements étant amené à échafauder toutes sortes d'hypothèses.

Serene Velocity d'Ernie Gehr (1970) est encore plus radical, carrément hypnotique. Le film est totalement muet, le décor, immuable, totalement vide. Le couloir, d'un hôpital peut-être, ou des bureaux, avec une porte vitrée au centre et des néons qui se reflètent, pris dans un mouvement régulier, lancinant, d'avant en arrière, dans une symétrie toujours parfaite. Pourtant, il ne s'agit pas d'un simple zoom qui tournerait en boucle pendant 23 minutes, mais d'un enchaînement de séries de 4 plans fixes, le réalisateur changeant de focale à mesure qu'il avance et recule dans le couloir. Le résultat est extraordinaire. Le regard est sans cesse aspiré au centre, qui, si on le fixe, provoque l'hallucination. Est-ce qu'on ne croit pas franchir cette porte ? Mais dans quel sens ? Ce n'est plus un couloir, mais un labyrinthe. Ou est-ce une pyramide observée du dessus ? Un diamant en gros plan ? C'est un mandala filmique, à contempler en toute sérénité.

Enfin, on retiendra The Act of seeing with one's own eyes (1971), que Diamanda Galàs eut l'excellente idée de programmer avant Les yeux sans visage de Franju. C'est le troisième acte de la "trilogie de Pittsburgh" aux résonances foucaltiennes, après Eyes (sur la police) et Deus Ex (sur l'hôpital). Stan Brakhage fut autorisé à filmer le travail quotidien qui s'opère dans une salle d'autopsie, à condition de ne pas montrer les visages. Les cadavres se succèdent. Leur peau varie : cireuse, froissée, contusionnée, de couleur pâle, brunie, rougeaude ou verdâtre. Des mains palpent, entaillent, nettoient, vident les corps défunts. Le cuir chevelu se retourne comme un gant, les organes se vident comme des poches, la peau se découpe comme une étoffe. L' humanité s'estompe, l'identité s'effiloche au fur et à mesure que l'on désunit les éléments qui la composaient. A la fin, on n'est plus que viande. La vision est violente, elle peut choquer, écoeurer. "L'acte de voir de ses propres yeux" qui donne son titre au film est la définition du mot grec autopsia. Le film vaut la peine d'être vu, car il délivre avec exactitude la vérité de quoi nous sommes faits. — Damien Panerai

Dali Cinéma

Un festival qui se proclame " étrange " devait bien un jour explorer les relations ambiguës que Salvador Dali a entretenues avec le cinéma. L'oeil, disait-il, est "un appareil photographique mou". Pour un artiste comme lui, préoccupé avant tout de peindre "l'irrationalité concrète", le cinéma pouvait apparaître comme l'outil idéal, le plus apte à retranscrire le monde du rêve et le fonctionnement de l'imaginaire.

Un documentaire tente de faire le point sur la question. Produit par la télévision catalane à l'occasion du centenaire du peintre, Cinéma Dali de Joseph Rovira est un 52 minutes très formaté, doté d'un commentaire paternaliste agaçant, mais il a le mérite de présenter un vaste choix d'archives : Dali et Bunuel, Dali à Hollywood, Dali et Disney, Dali réalisant chez lui de modestes home-movies aux trucages enfantins… Mais surtout, au-delà du septième art, Dali superstar médiatique. Qu'il organise d'extravagants dîners ou crée, pour un défilé de mode, d'importables costumes, il transforme chaque apparition publique en événement, selon son adage fameux : "L'important, c'est qu'on parle de moi, même en bien". On retiendra notamment le savoureux happening en quatre actes qu'il réalise autour de la confrontation entre la Dentellière de Vermeer et un rhinocéros de Vincennes. Mais Dali n'est pas réductible à ce personnage-là.

C'est avec un film, écrit par lui et réalisé par Luis Bunuel, que Salvador Dali est entré dans le groupe surréaliste. On pourrait même dire qu'il a suffi d'un seul plan, qui n'a rien perdu de son pouvoir de sidération : l'oeil tranché par un rasoir, au début d'Un Chien Andalou. Par un subtil jeu de raccords incohérents défiant la raison, mais orchestrés sur un tempo impeccable, le court métrage mettait en pièces les conventions narratives du cinéma. Il posait aussi quelques obsessions récurrentes de Dali : fourmis, piano, femme-objet, fétichisme et putréfaction.

Après Un chien andalou, L'âge d'or. Cette fois, Bunuel ne s'inspire que très vaguement du script de Dali et parfois même s'y oppose, en particulier sur la question du catholicisme, que Dali entendait célébrer et Bunuel pourfendre. A dire vrai ce film, qui fit scandale en son temps parce qu'il en attaquait les valeurs (mariage, famille, patrie...), n'est plus aujourd'hui qu'un fastidieux catalogue de poncifs surréalistes et de provocations désuètes.

A partir de là, les tentatives cinématographiques de Dali ressemblent souvent à des rendez-vous manqués : si celui-ci a tenté à maintes reprises d'insuffler son univers dans des films, il s'est heurté au système même du cinéma, à la pesanteur des conditions de production et à l'incompréhension des professionnels et du public.

Ainsi, la séquence du rêve qu'il élabore pour Spellbound (La maison du docteur Edwards) d'Hitchcock : des 20 minutes initiales, le montage final gardera moins de 2 minutes et demie.

D'autres projets ne verront le jour qu'après sa mort. Babaouo, scénario écrit par Dali en 1932 sera finalement réalisé par Manuel Cusso-Ferrer en 1998. Venu présenter le film à l'étrange festival, le réalisateur a expliqué que son intention était de "trouver l'inconscient optique dalinien". Ambition vaine, car Dali, en bon surréaliste, avait déjà fait ce travail de mettre à jour son propre inconscient dans son oeuvre. Aussi le film n'est-il qu'une adaptation fade, et pour tout dire scolaire, de son univers, alignant les motifs familiers (fourmis, cyclistes avec pain sur la tête, oeufs au plat, femme-objet, etc.) dans une fiction sans enjeu, un fastidieux bric-à-brac onirique. On peut lui opposer cet axiome de Bunuel : le réalisateur a tous les droits, sauf celui d'ennuyer le spectateur.

Le cas de Destino est plus intéressant : issu de la rencontre et de l'amitié entre Salvador Dali et Walt Disney, ce dessin animé, élaboré en 1946 ne sera terminé qu'en 2003. C'est une brève séquence de 7 minutes, déployée sur une chanson d'Amando Dominguez : une ballerine évolue dans un décor mouvant, formes molles et organiques en métamorphoses successives, où l'on reconnaît la patte du maître catalan. C'est à la fois un tableau de Dali en mouvement et un ballet féerique typiquement disneyien, à rapprocher du fameux rêve éthylique de Dumbo et des chorégraphies de Fantasia. Ce caractère hybride fait le charme de Destino : c' est l'intersection posthume de deux univers singuliers, de deux créateurs qui s'estimaient, mais ne réussirent pas à se comprendre assez pour faire aboutir ce projet commun : pour Disney, c'était "la simple histoire d'une jeune fille à la recherche de l'amour" et pour Dali une allégorie "des problèmes de la vie dans le labyrinthe du temps".

Alors, Dali et le cinéma, une suite d'échecs et de projets avortés ? Ce n'est pas si simple. Certes l'artiste aimait décevoir, raffolait du ratage et cultivait le sabotage. Mais sa carrière cinématographique est finalement assez remarquable : elle couvre tout le spectre du possible, du muet à la télévision, de l'avant-garde révolutionnaire au mainstream hollywoodien en passant par le dessin animé. Dali y a occupé les fonctions de scénariste, décorateur, créateur de costumes, acteur, guest-star, jusqu'à devenir, à 72 ans, auteur-réalisateur-interprète d'Impressions de la Haute Mongolie.

Il faut voir le seul film "de" Dali, co-réalisé par José Montes-Baquer. Impossible à résumer, le récit est à deux niveaux : une expédition scientifique à la recherche d'une mystérieuse "civilisation hallucinogène", et l'exploration par Dali lui-même de son propre cerveau. Esthétiquement, le film repose principalement sur deux procédés : l'image double (fréquemment utilisée par Dali dans ses tableaux) et l'emboîtement, en hommage avoué à Raymond Roussel et ses Impressions d'Afrique. Dès le prologue (Dali peignant Gala devant un miroir, première mise en abyme), on est pris dans un immense jeu d'analogies et d'images-gigognes, où une carte postale s'insère dans le visage de Hitler, une tête de lion renversée devient scarabée, un fragment de tableau vu de près recèle de formes insoupçonnées. Suit une séquence stupéfiante, dont l'image plonge dans l'abstraction : on aborde des terres mystérieuses, minutieusement déchiffrées par Dali en voix off, et finalement un zoom révèle que tout provient d'un stylo bille observé au microscope. Démonstration rigoureuse du célèbre principe de communication entre microcosme et macrocosme, dont Dali désamorce ensuite le sérieux.

Impressions de la Haute Mongolie révélait ainsi, tardivement, de quoi Dali cinéaste était capable : un film d'une beauté impure, à la lisière de l'expérimental et du canular, du mystique et du grotesque. Dali, ou le cinéma comme pouvoir infini de manipuler l'oeil du spectateur. — Damien Panerai

Rétrospective Sono Sion

De sang et de rêve, la matière instable du cinéma de Sono Sion infuse une œuvre réflexive. La filmographie, tout en lignes de fuite, investit de plain-pied le geste créateur, par où se débride la pulsion. Regarder un film de Sono Sion revient à s'immerger dans une culture patriarcale, où la figure masculine de l'autorité, mise en échec, signale la crise de la famille, et partant, d'une société déliquescente.

Tout a commencé avec Suicide Club et sa séquence liminaire proprement sidérante (un segment presque autonome). On y voyait 54 collégiennes se jeter sous les rails d'un train, dans un geyser de sang. Ce paroxysme visuel intervenait après une série de plans quasi documentaires, volés dans le métro de Tokyo. A l'image, des visages impassibles se détachent, arrachés à la rumeur urbaine. Calme effervescence, rien n'annonce la catastrophe imminente, laquelle se charge d'une puissance cathartique et d'un sens du grotesque consommé.

Suicide Club avait déjà imprimé en nous sa marque déceptive. Prospectif et projectif, le film traduit le profond désarroi d'une jeunesse en rupture. Où il est question d'un cercle de candidats à la mort, recrutés sur internet, des otaku fascinés par un groupe d'idoles délétère. Profondément désabusé, Suicide Club ne pontifie pas, n'échafaude aucune tentative de remédiation et se referme sur un constat inquiet.

A l'occasion de L'Etrange Festival, qui consacrait cette année une rétrospective à Sono Sion, on a pu découvrir le mélancolique Requiem pour Noriko (Noriko's Dinner Table). Réalisé dans le même temps, ce pendant visuel et narratif de Suicide Club, a tout du greffon réussi. Brimée par un père tyrannique, une jeune fille fugue à Tokyo. Elle se retrouve enrôlée dans un groupe de comédiens lesquels louent leurs services à des particuliers, souhaitant pallier à un déficit familial et affectif. Cannibalisée par son rôle, Noriko perd progressivement le contact avec la réalité et devient son personnage.

Dépersonnalisation, schizophrénie, prééminence de l'œuvre et de la représentation sur la vie, tels sont les thèmes qui traversent, de manière récurrente, le cinéma de Sono Sion. Si l'on retrouve des échos visuels et sonores de Suicide Club (le réalisateur reprend même la séquence sanglante du métro), l'impression de "déjà vu", plus que de le dissiper, intensifie davantage le trouble. L'émotion culmine dans une séquence finale de repas, à l'issue tragique. Reformée le temps d'une soirée, la famille que l'on rejoue dans une harmonie factice, signe son anéantissement au profit de l'artefact.

Même dispositif dans Into a Dream qui suit la trajectoire triviale d'un comédien contrarié par une MST. Morsure de la miction, brûlure du rêve auquel s'ajoute un work in progress : les filages d'une pièce de théâtre. Les différents espaces s'enchevêtrent allégrement mais à trop vouloir densifier sa structure filmique, Sono Sion épuise rapidement son matériau, filmé en vidéo, un support qu'il transcende néanmoins.

Avec le dérangeant Strange Circus, l'iconoclaste réalisateur (par ailleurs, auteur de pornos gay) radicalise ses thèmes. De nouveau présente, la figure démiurgique s'incarne en une auteure de best sellers, pseudo paralytique. Mais encore dans une maîtresse de cérémonie d'un théâtre baroque où des volontaires offrent leur mort en spectacle. Là encore, le réel est contaminé par l'œuvre, véritable débauche fantasmatique : inceste, pédophilie, voyeurisme, transexualité, parricide, matricide, rien ne manque au chapitre des tabous. Une gamine, violée par un père qui la contraint à observer les ébats de ses géniteurs, enfermée dans l'étui d'un violoncelle (espace corporel transitoire) se substitue, par l'imaginaire, à sa mère. Ivre de jalousie, l'épouse la maltraite. La fillette tue la mère, au propre comme au figuré et devient le jouet des turpitudes paternelles. Aux fous, lâchez les chiens ! N'en jetez plus ! Ce condensé de déviances, outre des qualités plastiques indéniables (somptueuse photographie de Yuichiro Otsuka), pèche par un final trop explicatif où la vérité reprend ses droits. Dans l'intervalle, on aura été terrassé par une crise cardiaque, consécutive aux limites assignées par une éducation catholique stricte (dont on a encore bien du mal à se déprendre).

Aura-t-on, au final, trouvé en Sono Sion l'auteur inespéré, sorti de la graisse du façonneur d'images ? La réponse est sujette à caution. Mais l'univers foisonnant et transgressif du metteur en scène, qui voit le récit exulter, intéresse. Songes éveillés, les films réaffirment la précellence de l'art par où se matérialise la profonde crise morale d'une société consciente de sa décadence. — Sandrine Marques


  


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