Nouvelle Cuisine movie review DVD critique de Nouvelle Cuisine



 

 



Nouvelle Cuisine review

Nouvelle Cuisine

:. Réalisateur : Fruit Chan
:. Acteurs : Miriam Yeung, Tony Leung
:. Scénario : Lilian Lee
:. Titre Original : Dumplings
:. Durée : 1:31
:. Année : 2006
:. Pays : Hong Kong
:. Site Officiel : Nouvelle Cuisine


À Hong-Kong Tante Mei s'adonne à un singulier business en proposant à ses clients, moyennant de prohibitifs émoluments, des raviolis réputés pour déjouer les ravages du temps. Elle assure d'ailleurs elle-même la promotion de son activité car du haut de ses 64 ans elle en paraît moins de 30 ! Ching Lee, ancienne gloire de la télévision locale, vient d'ailleurs frapper à sa porte dans l'espoir de reconquérir son richissime mari qui ne prête plus guère attention à elle depuis qu'elle a dépassé la trentaine. Pourtant le plus difficile à avaler ne sont pas ces bouchées vapeur rosées mais bien leur abject et principal ingrédient : des embryons récupérés lors d'avortements effectués à Shenzen, chez le voisin chinois.

Nouvelle Cuisine avait déjà été aperçu sous un format court dans l'inégal 3 Extrêmes. Flanqué d'une heure supplémentaire le film régénère le genre, en prenant une dimension sidérante. Au-delà du propos provocant par lequel le cinéaste admoneste les mœurs aliénés de ses contemporains (vénération des corps), de la vague morale épinglant la propension à dévorer son avenir pour assurer une éphémère survie, des deux actrices magistrales et perverses - une Bai Ling sculpturale dotée d'une décontraction mutine dans l'ignominie ainsi qu'une Miriam Yeung vénéneuse et frappée d'une sensualité engoncée - ou du scénario pas assez tonique - velléités fantastiques laissées en friches - perdure une expérience inouïe et misanthrope de mise en scène agissant à retardement sur le spectateur.

Privilégiant une approche clinique, une bande-son proprement angoissante et les éclairages vrombissants et glauques de Christopher Doyle, Fruit Chan délaisse son style documentaire (Made In Hong-Kong, Little Cheung…) pour s'ingénier à développer un univers précaire de l'entre-deux. Les pulsations lascives ou les envolées grotesques sont expédiées pour se focaliser sur la notion de rapports de force fluctuants et de leurs expressions plastiques : le surplomb et le heurt de la verticalité et de l'horizontalité. Avec la prise d'assurance due à son addiction, Mme Lee délaisse ainsi les positions assises ou adossées pour resplendir dans une rectitude élancée - jusqu'à dominer sexuellement son mari alité. De même, les échanges entre les deux femmes auront souvent lieu entre l'une assise et l'autre debout - doublés d'un jeu sur le contre-champ puisque la chaise évince toujours le même demi-hémisphère de perception. Et que dire de cette tour oppressante - représentation vaginale stupéfiante et purgatoire sanguin des conséquences - écrasant l'impassible tante Mei. La coalescence des deux états s'exprimant par la superposition perpendiculaire d'un élément de décor (stores et étagères) avec la posture tendue de Bai Ling. Autant d'éléments qui enjoignent à un flou et funeste voyage dans les viscères fertiles et malaxés de l'ambivalence.

Car enfin il y a les cloisons (mur/peau), représentées comme asphyxiantes, impérialistes et cannibales - hypnotique plan où Miriam Yeung s'observe dans deux miroirs, son image étant décomposée, captive et mastiquée. Le paysage urbain comme métaphore violente et ultime du consumérisme ? Certainement mais cela serait réduire la volonté du cinéaste qui, lentement, nous conte l'atroce agrégation de ces cloisons et des êtres gluants (premières secondes moites et anxiogènes) évoluant à leur proximité. Durant la première partie du long métrage nous étions frappés par la frontalité de la réalisation et son obsession du détail anthropomorphique (mains, pieds, bouches, déglutitions…) confrontée aux foetus dépourvus de ces attributs. Nous comprenons avec la laxité de la seconde partie les véritables enjeux de la mécanique à l'œuvre : peindre une architecture humaine où les femmes droites et caressant les murs porteurs se confondent avec eux de manière pernicieuse et où l'amoncellement d'organes rejoint un bazar foutraque de figurines sur une commode.

Troublante et opaque voie choisie par Fruit Chan pour accompagner le glissement vers la dépravation ou l'affect. La rectitude se fait ontologique et dès lors tante Mei déverse sa haine vorace et son érotisme décomplexé vers Mme Lee - les deux femmes d'abord séparées par un rempart se font ensuite face, se frôlent et intervertissent leurs positions : égalité et duplicité sont consommées. Nous avons traversé les apparences (douaniers aveugles), troublé les notions mêmes d'intérieur et d'extérieur, de révulsion (chairs faisandées) ou d'épouvante (avortement à 5 mois de grossesse), pour saisir à pleine main le cœur palpitant de l'œuvre. Aux tréfonds d'un corps décrépit, quand le coït devient malsain - dévorer le partenaire pour que l'intégrité physique subsiste -, il ne reste qu'à s'attaquer au visionnant. Trancher l'œil et le dernier parapet non annexé pour conclure le ravalement de façade, être bien dans sa peau.


  Frédéric Flament


    


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