Les Infiltrés movie review DVD critique de Les Infiltrés



 

 



Les Infiltrés review

Les Infiltrés

:. Réalisateur : Martin Scorsese
:. Acteurs : Leonardo Di Caprio, Matt Damon
:. Scénario : William Monahan
:. Titre Original : The departed
:. Durée : 2:30
:. Année : 2006
:. Pays : USA
:. Site Officiel : Les Infiltrés


POUR

Avant son passage aux oscars, et après une mise en piste critique le plus souvent élogieuse mais ayant raté un brin son sujet, retour sur le dernier film de Scorsese, dernière pièce d'une œuvre formelle aussi cohérente que mouvante. Il s'agit avant tout d'oublier le film hong kongais dont il est le remake, paresse critique qui lance le spectateur dans un vain jeu de comparaison, et manque l'essentiel. The departed donc, beau titre original, en salut vers les morts, chose promise et due à tout un chacun, grand comme petit, pauvre comme puissant. Pour son auteur, un de ses film de gangsters, certes, mais moins un retour aux sources que le précipité des obsessions qui travaillaient ses derniers films. Ici l'Amérique, terre vaine, mirage doré aux yeux de ses enfants adoptifs, où les hommes vivent le martyr des rêves qui les animent, et les jettent dans le chaudron bouillant de la violence originelle. Car oui, la maturité venant, l'auteur Scorsese a su déplacer ses obsessions d'un espace métaphysique individuel irrigué de catholicisme vers un voyage au cœur des férocités humaines. Le dépouillement des oripeaux civilisationnels dévoile alors une bestialité socialisée sur laquelle s'appuie la naissance de ce seul mythe : l'Amérique. Au fond, Scorsese se rapproche d'un Cimino jeté dans l'œil du cyclone capitaliste, quand les hommes se découvrent seuls à lutter, sans plus de famille ni amis. Et The departed serait alors la version série B et parfaitement réussie des Gangs of New-York, son versant Scarface premier du nom.

Le prologue imprime dès le début la patte de son auteur dans la matière même du film. Voix off du grand méchant Costello (J. Nicholson), père adoptif des deux enfants loups infiltrés, sur un montage d'images d'archives reprenant les émeutes raciales des années 60 en Amérique, et qui nous rappelle cette seule chose : le pays est à prendre, chaque communauté peut y faire son trou, si l'on sait être habile, et peu importe la manière (flic ou voyou) du moment qu'il y ait un flingue dans les parages. Dès lors, inutile de s'attarder plus longtemps sur cette idée d'infiltration, en import direct du film hong kongais original. Débarrassé des touches abstraites et arty de son prédécesseur, la version Scorsese ne prend cette notion de double et d'ambivalence que comme un prétexte narratif. Cette infiltration en miroir procède moins d'un enjeu identitaire psychanalytique qu'elle n'autorise une circulation des langages, des attitudes et des parures, c'est à dire des signes sociaux gravés sur les corps même, dans des environnements différents. Ainsi du choix de Costigan (Leonardo di Caprio, coulée humaine infiniment remodelable sur le modèle de Niro d'avant les tics), pour jouer les taupes, non par ce qu'il montrerait de sang-froid, mais par sa capacité enfantine à varier les accents parlés du nord au sud de la ville. C'est donc un enfant qui joue, au flic, puis au voyou, face à un autre qui croit se débarrasser de ses casseroles de pauvre en endossant des costumes cravates dans des appartements avec vue sur le Capitol.

Cinéaste du montage, Scorsese est ici plus que jamais à son affaire. Dans cette ronde carnavalesque des bons et des méchants, où les décors dressent un inventaire des classes sociales, l'habileté musicale du cinéaste ne cesse de passer d'un univers à l'autre (restaurant branché, rade miteux, entrepôts désaffectés ou résidences bourgeoises) par un jeu de mouvements de cameras (champs et contrechamps en travelling et zoom) et un travail extrêmement précis sur les sons (l'usage des sonneries de téléphones portables pour modifier les environnements sonores). Tout le monde social est alors diffracté au travers d'un seul regard totalisant qui enregistre le carnage en marche. Car, in fine, que peuvent valoir les identités dans cette escalade vers le pouvoir et les bonnes manières, cette conquête d'un pouvoir qui est aussi celle d'une femme et d'un dôme doré deviné en fond de plan, comme l'œil narquois de Dieu ? Rien, semble dire le cinéaste Scorsese, plus enragé que jamais, prêt à rayer tout décorum hollywoodien, avalé dans le langage ordurier d'un Mark Walberg, personnage en contrepoint appelé à s'effacer car ne jouant aucun jeu social. Ne reste alors qu'un mot pour accompagner cette ruine de l'âme, ultra violence de l'ambition mutée en déshumanisation terminale : OK. Nul violon, nul lyrisme, nulle larme. C'est une série B, et c'est tout.

OK.


  Guillaume Orignac


CONTRE

Pour quelle raison faut-il une heure pour entrer dans Les Infiltrés et à peine quelques minutes pour en sortir définitivement? Serait-ce parce qu'en matière de trahison, on a le sentiment d'avoir déjà tout vu dans les brillantes séries télévisées américaines (cf. La trahison-aphrodisiaque)? Ou parce qu'un postulat de départ amusant et le cabotinage plutôt réussi des monstres d'Hollywood ne suffisent plus à retenir un public devenu de plus en plus exigeant et critique à l'égard du cinéma américain -face à l'extraordinaire singularité tant visuelle que scénaristique du cinéma asiatique par exemple?

C'est sans doute un mélange de tout cela. Une lassitude aussi : à l'instar du cinéma français dont les têtes d'affiche justifient (du moins le veulent-elles) à elles seules un battage médiatique de tous les diables, au détriment d'un quelconque talent de réalisation ou d'écriture, la tendance "bankable" du cinéma américain -critiquée sur les mêmes plateaux où l'on fait l'apologie de tel ou tel film- gagne du terrain et ne se contente plus du registre de la comédie. Et l'on accepterait les codes d'une narration classique (ici une entrée en matière en parallèle aussi interminable qu'inutile) servie par un casting de rêve si le parti pris de la réalisation savait jouer de ses hommages et emporter le récit dans une dimension inconnue au lieu de tourner sans fin sur sa propre (in)satisfaction.

Qu'on ne s'y trompe pas : Martin Scorsese regorge d'un talent sans surprise, sa caméra est aussi dynamique et aiguisée dans les scènes d'action (courtes et sans fioriture) qu'elle sait être tendre et cajoleuse dans la caresse du visage de ses acteurs fétiches. Les Infiltrés se permet même des scènes d'anthologie à la limite de la démesure absurde de son sujet -l'infiltration parallèle d'une branche du FBI par le fils spirituel d'un malfrat (Matt Damon en béton armé) et d'un flic trop doué pour la tâche (Leonardo di Caprio, enfin crédible et viril) dans l'équipe du même malfrat (Jack Nicholson, inénarrablement too much)- telle la séance de sabordage psychanalytique de Di Caprio pour sa régulation, le défoulement d'Alec Baldwin sur un technicien négligent ou le détachement outrancier de Nicholson dans les scènes de boucherie (encore, le sens de la répartie très particulier de Mark Wahlberg ou l'humanité décalée de Martin Sheen).

Le film ne tient pourtant que dans ses numéros d'acteurs masculins (l'inexistence de la femme chez Scorsese, un sujet à traiter?). On se désintéresse vite d'une intrigue usante, incapable de se situer dans le film. Est-ce une comédie? Un thriller? Est-ce sérieusement drôle ou drôlement sérieux?

Reste une issue brutale et sans espoir, à la fois amorale et consensuelle, ce qui est une première dans un cinéma qui privilégie plutôt les fins patriotiques. Définitive comme une balle tirée en pleine tête.


  Laurent Herrou


     Aviator
     Gangs of New York


    


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